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Shiva Star Nzigou : Il était une fois un prodige du ballon rond


Publié le 1er novembre 2011 par Arnaud MBENG Mis à jour : 1er novembre 2011 à 09h44min
© D.R./SPORT241
Shiva Star Nzigou : Il était une fois un prodige du ballon rond

Comment le plus jeune joueur à participer à une Coupe d’Afrique des Nations en 2000, celui que la presse africaine à l’unanimité avait surnommé Shiva Star Nzigou en raison de son formidable toucher de balle, n’a pas tenu ses promesses ? Retour sur le parcours avorté d’un prodige du ballon rond

Alors que tous les gros titres de la presse sportive faisaient la une en annonçant le retour au pays de l’enfant prodige, Shiva Star Nzigou au sein de Missile FC, l’entraîneur de la formation militaire Luc Eymael nous envoie urgemment un mail pour publication : « Shiva ne viendra pas ». Intrigué, nous avons voulu en savoir d’avantage, sur Shiva N’Zigou de son vrai nom. Et notre rédaction est tombée par hasard sur ce reportage, réalisé en 2010, par nos confrères de Viva Presse. Nous sommes tombés des nues. Comment le plus jeune joueur à participer à une Coupe d’Afrique des Nations en 2000, celui que la presse africaine avait surnommé Shiva Star Nzigou à cause de son formidable toucher de balle, n’a pas tenu ses promesses ? Aujourd’hui le natif de Tchibanga évolue en Belgique à Royal Excelsior Virton un club de Division 3. Retour sur le parcours avorté d’un génie du ballon rond.

Victime du capitalisme des clubs européens

Le meilleur attaquant du Stade de Reims !  » tranche un ami, footballeur comme lui. Shiva, nous l’avions rencontré en 1998. La pratique des grands clubs européens achetant en Afrique et en Amérique latine de jeunes espoirs du foot suscitait alors la polémique. Nous recherchions un témoignage  : ce fut celui de Shiva, quatorze ans à l’époque, natif de Tchibanga, au Gabon, tout juste séparé de sa famille et de son pays. Le centre de formation du Sporting Club de l’Ouest (Sco) d’Angers l’avait remarqué lors d’un tournoi mondial de minimes et l’avait acheté à prix d’or à la Fédération gabonaise de football. L’interview avait été laborieuse. Dépendant du centre, Shiva ne pouvait ni ne voulait déplaire aux responsables. Il parlait de ses rêves de foot, mais esquivait les questions sur sa vie et n’avouait sa détresse que de manière détournée. Lancinante, la même phrase revenait dans sa bouche  : «  Cela irait mieux si j’avais quelqu’un de ma famille près de moi  » ; «  Il manque quelqu’un de ma famille avec moi  », phrase qui devint le titre de son témoignage. Il avait conclu ainsi l’entretien  : «  Quand on va jouer, dans l’équipe, on est ensemble, tous pareils. Ensuite, moi, je ne sais pas avec qui laisser éclater ma joie quand je gagne et je n’ai personne pour me consoler si je perds.  »

Entre solitude et incompréhension

Douze ans plus tard, on ne reconnaît plus l’adolescent timide et triste dont notre photographe avait si bien su traduire la solitude et le désarroi. On retrouve un garçon magnifique, conscient de sa chance mais aussi du prix qu’il a fallu payer, et qui l’a marqué à jamais. Libre, enfin, de dire ce qu’il avait tu il y a douze ans. «  A Angers, j’étais livré à moi-même. On entraînait un joueur qui devait rapporter, mais l’ado Shiva était seul.  » Les autres rentraient chez eux en fin de semaine. «  Moi, j’errais en ville le samedi et le dimanche. Si je ne m’étais pas accroché au foot, cela aurait pu très mal tourner. Ce qui m’a aidé, c’est l’idée de ma responsabilité. Je ne pouvais pas décevoir mon père, ma mère. Je devais devenir professionnel et aider ma famille. C’était un stress permanent de me demander si j’allais y arriver.  »
La première année, quand Shiva téléphonait à ses parents, il leur demandait de l’argent. «  Je recevais des papiers avec des chiffres, mais je ne savais pas ce que cela voulait dire. Et je n’osais pas me renseigner auprès des autres jeunes ou des responsables. J’avais honte. Je n’avais pas d’amis. On se moquait de moi, de ma manière de parler, de m’habiller. Je pensais qu’il y avait quelque chose chez moi qui n’allait pas.  »
Shiva se résolut quand même à montrer «  les papiers  » à celui qui partageait sa chambre. «  Il s’agissait de mon salaire, viré sur un compte bancaire tous les mois. On avait dû me l’expliquer, mais je n’avais rien compris.  » Et, tout d’un coup, Shiva a eu beaucoup d’amis. «  Celui à qui j’avais montré les relevés bancaires s’était aperçu que j’étais le mieux payé de tous, car j’étais international. Alors, quand on allait au Mac Do, c’était Coca à gogo, hot-dogs, des kilos de caramels… et l’addition était pour moi. Quand on faisait les magasins, parfois je payais même des habits.  »

Shiva est réveillé à 5 heures du matin, prié de quitter le centre en cachette

En 1999, le club d’Angers connaît des difficultés financières. A deux reprises, Shiva est réveillé à 5 heures du matin, prié de quitter le centre en cachette, en sortant par la fenêtre de sa chambre. On l’emmène visiter les installations des clubs de Lens et d’Auxerre. «  Ils essayaient de me vendre avant que je ne me rende compte que j’étais en fin de contrat et que je pouvais donc signer avec qui je voulais.  » C’est un entraîneur de Nantes, qui avait appris par la fédération que le contrat de Shiva avec Angers venait à expiration, qui lui expliqua sa situation. De 2000 à 2005, Shiva fut recruté par le Football Club de Nantes, sous contrat-aspirant d’abord, puis, un an après, sous contrat-espoir. «  Là, ce fut différent. J’étais entouré. On s’est occupé de moi. J’ai trouvé de la chaleur humaine, appris beaucoup de choses  : le respect, les valeurs humaines.  »

Chez les pros  !

En 2000 se tient en Afrique du Sud la Coupe d’Afrique des nations. A dix-sept ans, il est le plus jeune joueur à y participer avec la sélection gabonaise, et, quand il inscrit le 3e but de sa sélection face à l’Afrique du Sud, il devient «  Shiva Star Nzigou  » pour la presse du continent. En 2001, il devient professionnel. «  C’était le bonheur, j’avais réussi. Sous le choc, j’ai séché la fin des épreuves du bac. J’ai essayé de continuer mes études par correspondance, mais il y avait toujours un match… et maintenant je regrette. Si seulement j’avais eu quelqu’un pour m’aider à garder la tête froide.  » De ses années de collège et de lycée, Shiva garde le souvenir de ses professeurs. «  A Angers comme à Nantes, ils m’ont tous aidé. Je n’ai pas gardé le contact, mais je voudrais qu’ils le sachent. A Angers, ils étaient les seuls à me demander comment j’allais, à se soucier de moi et de ma vie.  »
C’est par téléphone que Shiva apprend, en 2001, la mort de sa mère. Un an auparavant, le club avait financé son voyage et son séjour en France. «  Mon frère vivait avec moi avec l’époque. Sa présence m’a aidé. Ma mère était tout pour moi, c’était ma motivation. Ça a été très dur. Je déprimais, je n’avais plus d’énergie.  » Trois ans plus tard, son père meurt aussi. «  Les papas africains, c’est spécial. On n’avait pas beaucoup de contacts. Il était très fier de moi. Quand j’allais jouer à Libreville il amenait au stade tous ses amis, son commandant de police.  »
Shiva est donc devenu «  le père et la mère de mes deux petites sœurs. Elles vivent chez mon oncle et ma tante, mais c’est moi qui les nourris. Si je n’avais pas été là, je ne sais pas ce qui serait arrivé. En Afrique, on peut tomber pour un morceau de pain, pour une paire de chaussures.  » A partir de 2005, Shiva est attaquant du Stade de Reims. Depuis le départ de l’entraîneur qui l’avait recruté, il se sent mis sur la touche. De fait, il ne joue plus qu’avec l’équipe de réserve. «  Je bosse, mais c’est dur de voir les autres jouer alors que je reste à la maison  », disait-il en février dernier à Philippe Launay, journaliste de la rubrique sportive à l’Union de Reims.

A la poursuite d’un autre rêve

Shiva ne regrette pas le chemin parcouru  : «  J’ai risqué gros, mais ça a marché. Ma mère a construit sa maison, mon père était fier de moi, mes sœurs sont en sécurité.  » Tout en continuant à passer ses diplômes pour devenir entraîneur, Shiva espère poursuivre sa carrière de joueur professionnel dans un autre club. Afin de réaliser son autre rêve  : construire un orphelinat à Libreville. «  Je sais ce que c’est d’être seul dans la vie, sans sa mère et son père.  »


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